Présentation du livre :
Trois cadavres pendus dans une grange isolée du côté de Rambouillet. C'est un coup de fil anonyme qui avait alerté la police. Après enquête, il s'avérait que ce coup de fil provenait d'une cabine publique du Havre et que la voix était celle d'une femme âgée. Sur les lieux, les mouches avaient pris possession des trois corps. Paul Jarot lui avait dit, mais cela restait confus, que des lingots d'or étaient posés aux pieds de chaque cadavre...
Publié sur Amazon en livre numérique (2,99 euros) et en livre broché (6,99 euros).
Premier chapitre :
Non, cela ne s'invente pas, les parents de Jean-Luc Rosières étaient horticulteurs, dans le sud de la France. Quittant Versailles, son lieu de travail, c'est souvent dans les serres familiales que cet ancien talonneur de rugby, de 100 kg pour 1 m 83 - on appelle ces joueurs les " gros " car ils ont des physiques impressionnants - aimait revenir méditer.
Ce médecin légiste de 50 ans aimait à dire : " La Nature vous fait entrevoir les choses du dedans. " Du dedans, il savait de quoi il parlait, le dedans de l'homme, le dedans de l'humanité.
Pour l'heure, il serait bien resté au lit ce samedi 12. La Brigade criminelle, plus précisément son ami Paul Jarot, venait de le tirer du lit dont il s'était pourtant juré de ne pas sortir. Il faut dire que l'affaire Speaker lui avait pris plus de temps que prévu.
Cet industriel allemand avait été retrouvé mort, avec son fils, sur l'aire d'une autoroute à Montélimar. L'autopsie de l'enfant de 8 ans lui avait laissé, comme à chaque autopsie d'enfant, une incompréhension indéfinissable. Elle lui avait sans doute rappelé la disparition tragique, depuis 4 ans déjà, de sa propre épouse et de leurs deux filles noyées accidentellement lors d'une plongée pour observer l'écosystème du fond sous-marin dont madame Rosières était une spécialiste reconnue.
Paul Jarot devait, en compagnie de son frère Michel resté célibataire, s'offrir des vacances dans le Sahara marocain, avec sa famille. Michel était anthropologue. Tous étaient très heureux de ce projet, d'autant que la famille Rosières devait d'être du voyage. La proposition avait suscité un engouement général. Sara, la fille cadette du couple, terminait ses études en anthropologie et, à plusieurs reprises, avait eu Michel Jarot comme professeur. Les enfants Rosières et Jarot, sensiblement du même âge, s'appréciaient.
Le voyage n'avait jamais eu lieu, et pour cause. Jean-Luc Rosières allait perdre les êtres qu'il aimait. Dans le monde très fermé de l'anthropologie, il se murmurait, que le professeur Michel Jarot et Sara Rosières, une de ses plus brillantes élèves, passaient de plus en plus de temps ensemble.
Vite, un café sur " l'index ", la formule de Jean-Luc Rosières avait fait le tour à l'Institut médico-légal, rappelant à chacun qu'il y avait urgence. Sa trousse dans son 4x4, il partit rapidement pour trois quarts d'heure de route, sachant mieux que personne que les premières constatations étaient essentielles.
Trois cadavres pendus dans une grange isolée du côté de Rambouillet. C'est un coup de fil anonyme qui avait alerté la police. Après enquête, il s'avérait que ce coup de fil provenait d'une cabine publique du Havre et que la voix était celle d'une femme âgée. Sur les lieux, les mouches avaient pris possession des trois corps. Paul Jarot lui avait dit, mais cela restait confus, que des lingots d'or étaient posés aux pieds de chaque cadavre...
Son GPS indiquait : " Prochaine à droite puis, sur cinq kilomètres, tout droit. " Trois pendus, cela lui faisait penser au Moyen-âge. A un autre temps aussi. Le temps ou des agriculteurs ruinés avaient choisi d'en finir de cette façon dans leur grange. " Choisir d'en finir... choisissons-nous vraiment ? ", pensait-il. Des lingots d'or... Rosières restait pensif comme quelqu'un qui cherche à chasser un mauvais souvenir.
Maintenant, oui, tout son être était tendu vers ce qu'il venait d'entendre sur sa messagerie une heure plus tôt. Combien d'hommes, de femmes, dans cette tragédie, il ne s'en souvenait plus. Cela restait confus dans sa tête. Il en avait d'ailleurs secrètement honte, comme s'il voulait faire payer à son ami Paul son réveil brutal. Bien sûr, la soirée tranquille à la maison, une fois de plus, serait à ranger sous la rubrique : " Faut pas rêver. "
" A droite, Monsieur Rosières. " C'était un jeune policier qui venait de lui adresser la parole, heureux de lui prouver que, malgré son jeune âge, il l'avait reconnu. Jean-Luc Rosières lui sourit.
Il jugeait que la notoriété, et la sienne en particulier, pouvait dans certaines circonstances avoir quelques avantages, mais elle demeurait pour ce qui le concernait une douce illusion.
Paul était là. Il lui ouvrit la portière et son premier mot fut : " Merci. " Ce qui eut comme effet immédiat d'augmenter la honte de Jean-Luc.
" Vraiment pas beau à voir, tu sais... J'aimerais juste que tu puisses me donner rapidement un temps approximatif pour les différents décès. Pour le reste, nous ferons comme nous en avons l'habitude de faire ensemble. Je suis chargé de l'enquête. "
Les yeux de Jean-Luc Rosières venaient de quitter ceux de son ami. Il pénétra dans la grange. Une vieille bâtisse, datant probablement du siècle dernier, s'offrait à son appréciation. Sur la poutre transversale, trois corps pendaient au bout de grosses cordes.
L'Identité judiciaire était bien représentée. De partout " les hommes en blanc ", comme on les nommait affectueusement, saluèrent Jean-Luc Rosières comme on salue un maître reconnu par tous. Ils prenaient toutes sortes de mesures. Ce qui, il est vrai, rendait Paul mal à l'aise. Cet auvergnat de souche préférait le calme de son bureau, plus propice à la réflexion que toute cette agitation. Il dit à Jean-Luc :
" Fais comme chez toi, je t'attends dehors. "
A droite, le premier pendu, un homme de 85 ans environ. Maigre, très maigre, comme atteint d'une longue maladie. Au centre, une femme du même âge, dont les cheveux blonds avaient été coupés très ras. A gauche, un deuxième homme plus vieux, mais large d'épaule, plutôt râblé, un rictus mauvais lui barrant le visage. C'était des grosses cordes qui avaient servi, comme celle que l'on trouve dans les fermes ou sur les bateaux de pêche. Enfin, 60 lingots d'or disposés aux pieds des pendus formaient la Croix de David.
Vingt années passées à l'Institut médico-légal avaient forgé chez Jean-Luc Rosières un caractère conjuguant le calme et la maîtrise de la pensée et du geste à accomplir, couronné d'une appréciation dans ses premières constatations très rarement démentie.
Dehors, le soleil était déjà chaud. Jean-Luc s'approcha de Paul qui venait de raccrocher son portable et semblait tendu. Il lui dit :
" Les lingots d'or... Tu penses à ce que je pense ?
- Je t'épargne comme d'habitude les détails mais, crois-moi, si ces trois personnes se sont suicidées, je suis le pape. "
Les lingots d'or, il en connaissait parfaitement l'histoire. Le casse à Versailles en 1983. Trois individus lourdement armés s'étaient introduits dans la succursale de la banque de France à l'heure de la fermeture. 60 kg d'or envolés. Les malfrats étaient très renseignés, aucune hésitation de leur part. Ils savaient exactement où se rendre en pénétrant dans les lieux. Mais, plus grave, le directeur de l'établissement avait été abattu froidement alors même qu'il avait les mains levées. Comme pour assouvir une vengeance ?
Le père de Paul Jarot, Ernest Jarot, lui-même commissaire à la Brigade financière, n'avait pu trente ans auparavant parvenir à un résultat satisfaisant dans son enquête. Eric Salles était un ami de son père et Paul voyait là comme un signe du destin. Faire honneur à ce père, mort d'un cancer il y a deux ans et qu'il avait tant aimé.
" A quand la mort ? demanda Paul.
- Une semaine, douze jours au plus " répondit Jean-Luc.
Puis Jean-Luc ajouta :
" Le médecin que je suis peut te dire plusieurs choses : le premier pendu a été soigné pour une tuberculose. La femme n'a pas été rasée par ses bourreaux, comme je l'ai cru en premier lieu, mais probablement par l'un de ses deux camarades. J'ai en effet relevé à la racine de ses cheveux des lentes et les femelles poux fixent leurs oeufs à la racine des cheveux par une colle qu'elles sécrètent. L'homme râblé a été probablement victime d'un coup de baïonnette. Ce qui laisse à penser qu'il s'est trouvé face à face avec un militaire ou un collectionneur. Je penche plutôt pour la première hypothèse. Tous trois ont en effet les insignes de l'armée allemande tatoués sur le bras gauche, ce qui nous indique qu'ils sont d'anciens militaires.
- Merci Jean-Luc, je lance dès maintenant une recherche dans cette direction. " Et Paul ajouta : " Au téléphone c'était la juge. "
Jean-Luc sut ce que cela signifiait, il se tut. Et immédiatement, Paul appela la Criminelle et donna les instructions nécessaires à ses proches collaborateurs.
Depuis un certain temps déjà à la Brigade criminelle, Paul était un homme écouté. Paul Jarot, juriste de formation, marié, catholique pratiquant, dont l'épouse Claire était une des responsables du diocèse de Versailles, était père de trois enfants, Benoît, Denis et Sophie. Le fils aîné, 21 ans, avait suivi très tôt son père sur les terrains de rugby sans négliger pour autant ses études d'architecture. Le cadet, 19 ans, se préparait à faire son tour de France chez les Compagnons comme ouvrier en menuiserie. La benjamine, 16 ans, préparait son baccalauréat avec assiduité. Bien que Jean-Luc soit agnostique, Paul et Claire lui avaient demandé d'être le parrain de leur benjamine Sophie. Comme lui grand amateur de rugby, c'est dans le même club qu'ils s'étaient rencontrés au temps de leur jeunesse. Paul Jarot, lui, mesurait 1 m 74 pour 74 kg, ce qui lui avait valu le surnom de 4X4 au sein du club. Il jouait en demi de mêlée, donc à l'origine du lancement des attaques et des directions de jeu à prendre. Entre les deux hommes, une amitié simple était née. Paul était plus jeune de deux ans.
Perdu dans ses pensées, son esprit n'en travaillait pas moins à une vitesse fulgurante, classant machinalement l'urgence, le secondaire. Vêtu comme il l'aimait d'un costume clair, Paul entraîna son ami dans la cour. Calant son pas sur le sien, ils marchèrent quelques minutes en silence. La poussière de la cour recouvrait leurs chaussures. Il leur semblait qu'une revanche était ici à prendre. D'ailleurs, ne s'agissait-il pas davantage d'un devoir de mémoire que d'une revanche ?
Faire mémoire au coeur même de son travail était devenu pour Jean-Luc Rosières une priorité :
" Les morts vous parlent, disait-il volontiers à ses élèves, écoutez-les. Ici, à l'Institut, vous rentrez dans l'intimité de ce qui a fait leur vie. Alors S'IL VOUS PLAIT, de grâce, respectez-les. Il n'y a pas pire médecin que celui qui n'écoute pas ", martelait-il à qui voulait l'entendre. Il démontrait comment, en ouvrant un mort, il était possible de lire son histoire comme dans un livre qui désormais pouvait être lu sans violation de la mémoire.
Maintenant, lui aussi avait besoin de retrouver l'Institut médico-légal et sa première assistante Hélène Soubès. Pour eux le travail commençait.
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