Présentation du livre :
Trois amis amateurs photographes d'éperviers font à Marly-le-Roi la découverte inopinée d'un homme âgé, presque enseveli sous des feuilles et baignant dans son sang. A compter de cet instant, leur amitié va connaître une succession de rebondissements dont ils ne pouvaient imaginer l'intensité et encore moins la profondeur. Pour Paul Jarot et Jean-Luc Rosières, une enquête commençait. Elle allait démontrer que, par bien des aspects, trois plus un n'était pas obligatoirement égal à quatre.
Publié sur Amazon en livre numérique (2,99 euros) et en livre broché (6,99 euros).
Premier chapitre :
Il y a, au 44 Boulevard de Glatigny à Versailles, un square nommé le Square Jeanne d’Arc. En été, il est ouvert de 8 h 30 à 21 h du lundi au dimanche.
Très souvent, un homme sans âge, râblé plutôt que grand, aux membres courts mais aux larges mains calleuses, arborant une belle barbe blanche de patriarche, en franchit les grilles à l’ouverture et quitte ce lieu à la fermeture. Il est devenu ce qu’on nomme un familier. Il fait, comme on dit, partie du décor.
Au fil du temps, faisant toujours la même promenade, ce sont à quelques exceptions près les mêmes personnes qu’il y rencontre. Il prend place sur les mêmes bancs après une heure de marche paisible que l’on sent agile, assurée et encore ferme.
Il est devenu pour beaucoup une véritable horloge. D’ailleurs souvent il rit sous cape voyant les enfants parier sur ses heures de passage, et regarde avec attendrissement des bonbons changer de poche.
Il sort de son petit sac beige le même jambon-beurre, accompagné d’une gourde en peau de chèvre, qu’il tient les bras levés pour boire et dont on voit couler du vin rouge épais.
Il ne représente pour personne un danger. Il est plutôt calme, ne parle pas, et aucun des habitués ne l’a vu ivre. Certes, quand on croise son chemin, il sent un peu le vin. Mais comme sa petite tabatière à priser ne le quitte pas, c’est cette odeur âpre qui émane de lui, plutôt que le vin.
Toujours propre sur lui, on ne le voit jamais sans sa vareuse de marin avec l’éternelle casquette du même nom vissée sur la tête. A tel point que personne ne pourrait dire la couleur de ses cheveux, ou même s’il en est pourvu. Il porte aux pieds des souliers d’un autre âge dont les fers grincent sur le sol, ce qui fait rire les enfants. Il ne s’en offusque d’ailleurs pas, et leur adresse même des clins d’œil.
Pour toutes les bonnes consciences, il est devenu un clochard acceptable, laissant toujours les lieux qu’il quitte propre. Mais, comme les bonnes consciences ont du mal à vivre sans donner un nom à ces individus, pour tous il est devenu « le marin muet ».
Et il n’est pas rare d’entendre des gens dire :
« Ce matin, le marin muet est arrivé après moi. »
Et d’autres de répondre en soupirant :
« Il devait en tenir une bonne !!! »
Ou bien :
« Cet après-midi, ma chère, le marin muet est passé avec cinq minutes de retard devant mon banc…
- Cinq… Lui si ponctuel…
- Cinq… A mon avis il nous couve quelque chose… »
Voilà comment ces êtres ne comptant véritablement pour personne appartiennent à tous. Il y a là vraiment pour chacun d’entre nous matière à réfléchir et à penser.
Ce matin-là, le marin muet ne parut pas. Il était devenu au square le principal sujet de toutes les conversations.
Une dame que l’on nomme dans notre langage familier une « pimbêche » avait pris pour habitude de se placer en face de lui lors de son repas pour mieux, disait-elle, percer les secrets de ce marin muet. Comme toutes les pimbêches qui se respectent, de secrets elle ne savait absolument rien, et comblait cette ignorance par des ragots de tous genres.
Elle fut la plus désappointée en ne le voyant pas, et hochait de la tête de façon presque convulsive.
En vérité, les plus peinés furent les enfants qui s’étaient attachés de façon silencieuse à ce bonhomme, comme savent bien souvent s’attacher les jeunes âmes.
Et tous quittant le lieu avaient aux lèvres les mêmes mots : « Vivement demain que nous le retrouvions ».
Mais le lendemain et les jours suivants, point de marin muet au square. Une certaine crainte avait envahi tout le monde. Et les uns et les autres s’interpelant tenaient pour certain qu’il était mort. Deux semaines passèrent ainsi. Personne n’avait osé prendre place sur les bancs qu’il occupait, comme si véritablement ces derniers furent sa propriété. Et quiconque l’aurait fait aurait été immédiatement foudroyé du regard.
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