Présentation du livre :
Sartrouville, petit nid douillet pour Honoré et Simone Poinsart. Une presque retraite pour Simone, qui ne voulut quand même pas que son ancienne nounou tire le rideau de sa boutique de tissus. A Calais, ils avaient chacun une activité propre, lui vétérinaire, elle rempailleuse. L’embauche de personnes fragilisées par la vie était devenue pour eux une simple évidence. Dans le cas de voyous, leurs choix avaient posés de réels problèmes ; mais, en même temps, Honoré et Simone avaient su donner une couleur singulière aux établissements dont ils avaient la charge. Jusqu’au jour où…
Publié sur Amazon en livre numérique (2,99 euros) et en livre broché (6,99 euros).
Premier chapitre : Une boutique peu commune
Derrière le château, un peu à l’écart, se trouve un magasin de tissu. On y trouve absolument de tout, des pièces de toutes couleurs et de grandes largeurs comme des plus petites.
Cette boutique est tenue par une femme à laquelle il serait difficile de donner un âge. Femme corpulente au regard vif, boitant très légèrement du côté droit.
Madame Curnet, la propriétaire, l’avait présentée comme une amie très chère, et lui avait demandé de mettre en place un plan permettant la pérennité de son entreprise. Madame Curnet en restait propriétaire mais, trop âgée, elle avait fait le choix d’une maison de retraite.
Cette amie se tient constamment à la caisse et ne la quitte, rarement, que pour des raisons très spécifiques. Elle porte sur son visage une joie communicative.
Assise sur une chaise haute et accoudée à un comptoir datant d’un autre âge, elle est aidée par deux femmes d’une trentaine d’années et un magasinier, qui fait aussi office d’homme à tout faire.
Elles parcourent inlassablement les allées pour satisfaire la clientèle, qui devient chaque mercredi plus nombreuse.
Car le mercredi, les enfants viennent en nombre dans une des trois arrière pièces pour y jouer. Il y a là une vraie taverne d’Ali Baba. Et pour eux, se transformer en reines ou en corsaires est une joie sans pareille.
Très vite les mamans ont appris à connaître l’espace réservé aux enfants, appelé la pièce des miracles, comme l’indique sa pancarte sur la porte.
Il y a là toutes les chutes de tissus, accompagnées de cartons de toutes sortes, et le sol est recouvert d’un vieux tapis très épais.
Et durant leurs achats, les clientes entendent le rire de leurs enfants qu’elles peuvent apercevoir derrière une large verrière. La caissière a sur cette verrière une vue d’ensemble, car la caisse où elle se tient se situe au bon endroit.
Pour la majorité de ces femmes la boutique est devenue un lieu incontournable. Sans y faire régulièrement de gros achats, elles n’en repartent cependant jamais les mains vides. Et aucune d’entre elles n’est dupe, la pièce des miracles y est pour beaucoup. D’autant plus qu’en son centre trône un petit théâtre fait de contreplaqué et de cartons épais.
Même si chacun savait que cette responsable se nommait Simone Poinsart, le pseudonyme de Madame Violette lui était en quelque sorte collé à la peau car personne ne l’avait vue habillée autrement qu’avec cette couleur, qu’elle aime à décliner sous diverses façons.
Les deux autres arrière pièces situées derrière sa caisse sont celles de son logement. Moins de soixante mètres carrés lui suffisent pour son confort, et personne n’y a franchi la porte.
Les enfants ont appelé ce lieu le grand secret, une large porte portant en son milieu l’inscription « Privé ».
Il règne autour de cette femme une énigme liée à son passé. N’étant pas de Versailles, personne ne pourrait dire avec exactitude d’où elle est originaire. Et encore moins si elle exerçait ce métier avant de venir s’installer ici.
Son attention pour chaque personne franchissant le seuil de la boutique, jointe à son sourire légendaire et sa bienveillance auprès des enfants, avaient contribué à l’entourer d’une aura aussi grande que mystérieuse.
La femme d’un fonctionnaire de la Préfecture étant venue à quelques reprises y faire ses achats, et la boutique ayant pignon sur rue, cela avait suffi à faire taire toutes les rumeurs, sans pour autant alimenter quelques réflexions de ci de là. Réflexions dont Madame Violette se moquait éperdument, et qu’elle ignorait avec une désinvolture sereine.
Le dernier mercredi de chaque mois, depuis six mois déjà, un homme venait à la boutique toujours à la même heure l’après-midi. Arrivant à 14h, il en repartait invariablement avec le même achat, des petites pièces de tissus aux couleurs multiples. Il y avait là largement de quoi alimenter toutes sortes de rumeurs, et d’ailleurs celles-ci étaient plus folles les unes que les autres, comme le sont en général les rumeurs.
On pouvait lui donner une trentaine d’années. Il avait les mains de quelqu’un pour lequel aucun outil n’a de secret. Plus encore, on y devinait une grande fierté.
Sans être luxueux, ses habits étaient corrects et ses chaussures bien cirées. Il portait des cheveux longs qu’il nouait au milieu de sa tête par un chignon fortement tressé. Il portait des lunettes cerclées de fer blanc. Sa musculation longiligne le rendait probablement plus grand qu’il n’était.
Quand cet homme entrait, on pouvait lire sur le visage de Madame Violette une joie réelle. Mais bien évidemment personne ne s’était risqué à lui demander quoi que ce soit. Et, malgré leur effronterie, encore moins les enfants.
A son arrivée, Madame Violette venait à sa rencontre, l’embrassait chaleureu-sement et, le prenant par la main, le guidait dans son atelier. Là, ils passaient ensemble de longs moments.
A voix basse on les entendait chuchoter non pas comme deux amoureux, mais bien comme deux amis qui ont tant de choses à se dire, et que le temps a séparés sans ménagement.
Ce dernier mercredi il resta plus longtemps que de coutume à traîner dans les rayons, et dans leurs habituels chuchotements, on entendit Madame Violette lui dire :
- Et pourquoi pas ?
Ce soir-là cet homme, sur sa demande, était resté jusqu’à la fermeture. Puis Simone, qui avait demandé au personnel de rester, leur présenta Etienne Delcourt et le projet auquel elle commençait à réfléchir avec lui.
Les craintes étaient là, bien sûr, mais l’idée était séduisante.
Tous promirent de se retrouver pour y voir plus clair.